Pour le cannibalisme, j'y vois simplement un sombre épisode de la première Croisade, où de pauvres hères affamés furent contraints de dévorer des charognes, des feuilles, des chiens et puis, des hommes...
Cela dans un dispositif de terreur orchestré par les chefs de la Croisade ( ce qui fut assez malhabile puisque dès lors aucune ville ne voulut se rendre sans combattre aux Croisés, préférant résister vaillament plutot que de voir sa population sauvagement égorgée...).
Concernant Amin Maalouf et plus généralement l'historiographie des Croisades, il est vrai que depuis leur "redécouverte" par les Orientalistes dans la 1ère partie du XIX ème siècle, celles-ci avaient été présentées sous un jour idyllique, frisant avec la chanson de geste et relayant parfois une idéologie alors en vogue, le colonialisme.
Cela est d'ailleurs perceptible jusqu'à la fin de IIde guerre mondiale, la Syrie et le Liban étant alors sous mandat français (on se souvient de la célèbre phrase du général Gouraud s'exclamant sur le tombeau de Saladin à Damas : "Saladin, nous revoilà !")
Ceci dit, et c'est là où je veux en venir, Amin Maalouf n'a rien apporté de bien nouveau avec ce livre, et il ne faut pas croire - c'est une tendance que je constate souvent - que tous les ouvrages parus auparavant en Europe sont à jetter à la poubelle, sous prétexte qu'ils véhiculent une histoire "officielle" ou ne prennent en compte que le point de vue "franc".
Il faut savoir que les sources arabes des Croisades ont été traduites très tôt et regroupées avec les sources grecques, arméniennes et latines dans un corpus gigantesque (6 tomes de 700 pages chacun ! ) intitulé "Recueil des historiens des Croisades", à l'initiative de l'Académie des Inscriptions et belles lettres, et que ces sources ont été consultés et utilisées à bon escient par d'excellents historiens ( voir René Grousset par exemple, et sa monumentale "Histoire des Croisades", hélas assez difficile à trouver aujourd'hui).
En vérité, la nouveauté de la démarche de Maalouf, c'est de présenter l'histoire des Croisades vue exclusivement du "camp d'en face", c'est-à-dire en utilisant presque uniquement les sources musulmanes (les seules références aux chroniques franques étant faites pour relater les épisodes de cannibalisme)
C'est en fait, dans le sens inverse, la même démarche que celle des premiers historiens des Croisades (p.ex. Michaud 1825 ), lesquels se basaient uniquement sur les sources franques. D'où sa partialité. A la subjectivité des vieux historiens occidentaux, il oppose celle des chroniqueurs médiévaux arabes.
Ceci dit, ce travail n'en reste pas moins très bien fait, riche et documenté. Il faut simplement se garder d'y voir - comme invite d'ailleurs à le faire l'auteur dans son avant propos - "le roman vrai" des Croisades, que l'on nous aurait jusque là caché.
ET surtout ne pas s'arrêter à la lecture de cet ouvrage, qui est devenu avec le temps un véritable talisman de "bobos", venant agrémenter leur quète de "l'Autre".
Dans le bien pensisme ambiant, où l'on devrait lire ce livre "de toute urgence", le contre pied serait donc, pour bien comprendre le phénomène des Croisades, justement, de croiser les lectures.
