Je mets ici le message que j'avais posté dans "les templiers", vu que cet article peut constituer un post à lui tout seul.
L'intitulé dit tout: L'église n'a pas toujours condamné à mort les sodomites. Historia, février 2002
L'église médiévale hérite du judaïsme une conception étroite de la sexualité: en dehors de la procréation, point de salut mais une intolérance systématique et pléthore d'interdictions. Alors que l'homosexuel au sens moderne n'existe pas, la pratique de la sexualité entre personnes du même sexe souffre d'une ambivalence irrésolue, tour à tour "péché qui ne sera pas pardonné" et "moindre péché".
C'est la genèse qui, la première, formule une condamnation avec la destruction de Sodome. Le lévithique explique l'interdiction, affirmant que "quand un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ils ont commis tous deux une abomination. Ils seront punis de mort.". Les Assyriens et Egyptiens réprouvaient cette pratique mais le judaïsme est le premier à prescire la mort. Saint Paul, pharisien intégriste avant sa conversion, reprend la loi mosaïque et transfère au nouveau testament l'interdiction du "vice contre nature".
Dans les premiers siècles de l'église les pères imposent la nouvelle morale au sein d'une culture greco-romaine qui fut toujours très tolérante. C'est le pouvoir temporel qui le premier légifère. En 342, Constantin II demande des "supplices raffinés" pour ceux qui sont considérés à présent comme des criminels.
L'église sera toujours plus clémente que le pouvoir civil, particulièrement pour ses clercs. Le double standard en matière judiciaire étant la règle -des tribunaux laïcs pour les laïcs, religieux pour les clercs, cohabitent- l'église n'abandonne pas les siens aux laïcs. Selon Maurice Lever, "la chrétienté médiévale se montre relativement sereine devant le péché contre nature". Comme la masturbation, l'adultère, la zoophilie, le viol, l'union charnelle en période d'abstinence religieuse..., l'homosexualité fait partie des "humbles réalités humaines" que les curés gèrent quotidiennement dans leur paroisse.
Les pénitenciels (répertoires codifiant les pénitences pour chaque péché) tiennent compte aussi bien du péché que de l'âge et de la condition du pécheur. Plus ce dernier est jeune, moins la pénitence est lourde. A l'inverse, les clercs et les religieuses qui péchent sexuellement sont les plus lourdement condamnés. Plus ils sont haut placés, plus c'est lourd, mais ces pénitences sont souvent allégées par l'aumône ou le pélérinage.
Et encore une fois les péchés sexuels ne sont pas considérés comme les plus graves. Si en 805, Charlemagne rappelle la loi, une anecdote sous Hugues Capet révèle la tolérance qui règne autour de l'an mil (il cache de son manteau deux hommes qui se caresse dans l'église pour leur laisser le temps de s'eclipser).
De son côté, l'église assimile la sodomie à l'hérésie, ces rapports détournant la nature, comme l'hérésie détourne le message évangélique. Ainsi pour les cathares "bougres", ou les templiers. Mais cela ne signifie pas qu'ils aient effectivement "pratiqué". Un seul concile, celui de Naplouse (1120) condamne les homosexuels au bûcher. Cette rigueur s'explique par le fait que des laïcs s'étaient joints aux religieux.
A partir des XII-XIIè s, l'attitude de l'église change. Le concile de Latran III (1179), en pleine réforme grégorienne pour la réorganisation de la chrétienté, se montre très intolérant d'une manière générale. Prêteurs sur gages, hérétiques, juifs, mercenaires sont sanctionnés. Les clercs homosexuels sont réduits à l'état laïc ou enfermés dans un monastère. Les laïcs eux sont excommuniés et mis à l'écart de la communanuté.
Le quatrième concile de Latran (1215), moins sévère, prescrit des sanctions pécuniaires contre les prélats qui protègent les prêtres coupables de fautes sexuelles.
La création de la sainte inquisition (1231), avance d'un pas vers la répression. La législation civile, trop heureuse que pour une fois, l'église se montre plus stricte qu'elle, emboîte le pas. Le premier receuil de dorit coutumier (coutume de touraine-Anjou 1246) indique que "si quelqu'un est soupçonné de bougrerie, la justice doit le prendre et l'envoyer à l'évêque; et s'il en était convaincu, on devrait le brûler. Et on doit faire de cette manière avec un hérétique s'il y a preuve." On a ici un exemple flagrant de l'assimilation entre l'homosexualité et l'hétérodoxie religieuse.
Cet impressionnant arsenal législatif ne doit pas pour autant induire en erreur. Maurice Lever souligne que sur les 73 procés pour sodomie qui eurent lieu en France entre 1317 et 1789, il n'y eu que 38 exécutions capitales dont celle de 2 femmes (exécution liées pour plus d'une douzaine de cas à des viols, rapts, meurtres), 8 exécutions en effigie, le coupable étant en fuite, 10 peines de bannissement, galères et prison, temporaire ou à perpétuité, 2 amendes, dont une à une femme, 10 acquittements, libérations et non-lieu (dont 3 de femmes), un suicide et 4 senctions inconnues. Comparé au nombre de sorcières, charlatans ou hérétiques brûlés en france pendant la même période, c'est peu. C'est à Laon que s'embrase le premier bûcher pour un homosexuel, un certain Robert de Péronne dit de Bray.
Yvan Matagon