Une anecdote…
En septembre 2004, j’entends à la radio une émission sur la révolution française. L’invité prestigieux est l’historien Jean Tulard, bien connu pour ses travaux qui font autorité sur la période Révolution-Empire.
Au début, le journaliste l’interroge : "alors qu’est-ce que la Révolution va apporter ?" (ou une question du même type). Ce à quoi le spécialiste répond : "d’abord la fin des droits seigneuriaux. Les droits seigneuriaux qu’est-ce que c’est ? C’est la taille, …
(je me souviens plus de la 2e assertion), le droit de cuissage, qui certes n’existait plus depuis longtemps… "
Là je bondis, forcément… Quelques jours après, je prends ma plus belle plume et j’envoie cette lettre (diplomate) à l’historien, aux bons soins des éditions Fayard :
« Monsieur,
J’ai eu le plaisir de vous écouter lors de l’émission de Jacques Pradel sur Europe 1, le 28 septembre.
J’ai cependant été très surpris de vous entendre citer le droit de cuissage quand vous avez évoqué les droits seigneuriaux. Je pensais que ce droit qui aurait accordé au seigneur la première nuit avec la jeune épousée relevait de la pure légende.
Le dernier ouvrage de référence sur la question est d'Alain Boureau aux éditions Albin Michel en 1995. Il conclut : "Le droit de cuissage, donc, n'a jamais existé dans la France médiévale." Et pas plus dans les époques suivantes, semble t’il.
Il semblerait que ceci relève des même légendes que les droits de ravage, de délassement ou des battues aux grenouilles sur les étangs. Ceci ne serait pas de l’histoire même si, bien entendu, des abus de pouvoir ont parfois eu lieu.
Je vous remercie de bien vouloir me dire votre opinion à ce sujet ou m’orienter vers les bonnes sources d’information.
Je vous prie d'agréer, Monsieur, etc…
Quatre jours après (seulement !) je reçois cette réponse de lui :
« Le 15 octobre 2004
Cher Monsieur,
Le droit de cuissage n’était plus pratiqué en effet en 1789, sauf dans les romans et nouvelles de Sade. Les cahiers des Etats Généraux n’en font pas mention.
Mais Voltaire l’évoque encore : « les seigneurs avaient imaginé le droit de cuissage ».
C’est une coutume très ancienne : en fait le seigneur avait le droit de passer une jambe nue dans le lit des nouveaux mariés. Ce fut –dit-on- étendu à la première nuit de noces.
Merci pour l’intérêt que vous avez bien voulu prendre à mon émission. »
Croire à l’existence de quelque chose en se basant sur la seule parole de Voltaire, cette talentueuse langue de vipère, et en parler à une émission de vulgarisation sans plus de recherches, me laisse pantois…
J’aurais perdu mon temps en lui répondant, je ne l’ai donc pas fait.
J’en conclue que cet homme est d’une civilité louable mais que l’historien travaille d’une bien drôle façon là où on attendrait un semblant de recherches, de vérifications personnelles avant d’en parler en public.
Il est notoirement connu que les encyclopédistes et Voltaire ont fait œuvre de propagande à leur époque, en cherchant tous les arguments et coups bas contre la monarchie et l’Eglise. Ils ont ainsi ressorti comme crédibles tous les ragots de l’histoire comme le droit de cuissage ou la femme sans âme, et bien d’autres fadaises.
Qu’en 2006, on en soit encore là, à justifier la révolution française par des balivernes, et d’une manière générale à travestir l’histoire par d’abondants mensonges (surtout par omissions, j’en vois plein dans les nouveaux bouquins d’histoire qui sortent en librairie), ça me sidère.
Quand pourrons-nous enfin parler de l’histoire –ancienne qui plus est- en restant objectif (j’ai pas dis impartial) ?
Il est clair que jamais je n’achèterai un livre de Jean Tulard, parce que je préfère les historiens sérieux.
Tiens, mort de rire ! En regardant :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Tulard
Je m’aperçois qu’il a écrit un livre en 1991 sur "le métier d’historien" ! Ça doit être là qu’il a du dire : «
L'historien est au service de la vérité et non de la morale ».
Je préfère les paroles qui sont suivies d’actes.