Bonjour,
Je réponds tardivement à la sollicitation de Foulques et il m'en excusera je l'espère. Voila donc quelques notes concernant ce sujet passionnant que ce qu'ont pu être les échanges entre communautés en Orient à l'époque médiévale.
Lorsque les croisés furent installés en Terre Sainte et une fois la furie de la conquête -
et les excès qui l'accompagnèrent - passée, la société qui fut celle des États latins devient une mosaïque complexe de factions essentiellement définies par des facteurs confessionnels. D'un coté les juifs, très minoritaires, les musulmans (l'islamisation de l'Orient à cette époque est très loin d'être achevée) les chrétiens d'orient de rites syriaques arméniens etc. et de l'autre, les latins. Tous vont passer le XII et le XIIIème siècle à cohabiter plus qu'à véritablement se mélanger. Mais, effectivement, cette cohabitation, si elle ne génèrera pas la société multiculturelle qu'on aurait pu attendre, fut tout de même à l'origine de bien des changements, dans les habitudes, les moeurs et les différents arts de vivre de chacun.
Si c'est par les échanges techniques, commerciaux et intellectuels que les changements principaux vont opérer, on peut déjà noter avec intérêt que le simple désir de vivre en Orient amena les plus curieux à changer leurs habitudes : il fallait désormais vivre parmi une majorité arabophone et dans un pays ou les températures montaient plus souvent et plus haut qu'en Europe. Ainsi voit-on ces chevaliers latins apprendre l'arabe, reprendre gout à la pratique du bain qui avait été oubliée en Europe et adapter l'usage de leurs armures en les recouvrants d'un foulard de coton à la manière des arabes pour résister aux grandes chaleurs (ceux-la louaient au même moment la solidité des épées franques

.
En même temps qu'ils implantent en Orient
les moulins à vent, les Francs redécouvrent des espèces agricoles comme le
sorgho et la
canne à sucre dont les récits de la redécouverte sont assez cocasses. Le secret des pâtisseries libanaises est enfin levé

. Ils découvrent aussi les
épinards, l'
aubergine et la variété d'
artichauts que nous consommons encore aujourd'hui. Même le
citron semble avoir été une retrouvaille orientale - l'espèce avait disparu de l'Europe médiévale. Du côté des fruits, c'est la
datte et la
pastèque qui ont marqué le plus les latins et les européens qui purent en profiter grâce aux nombreuses et nouvelles lignes commerciales offertes par l'implantation des Francs.
Du proche-orient, une grande quantité de nouvelles fleurs destinées aux seules décorations d'intérieurs vient donner un coup de fouet aux jardins médiévaux. Cette culture du luxe que la
rose et le
lis symbolisent bien se répand largement et on prend l'habitude de joncher le sol de plantes grasses fraichement coupées.
L'usage des épices se démocratise grâce au contrôle exercé sur les routes commerciales filant vers l'est - les épices eux même ne sont pas produites en Orient.
Camphre,
poivre et
clou de girofle finiront par accompagner tous les repas des riches familles.
Je passe sur les autres outils du luxe, qu'il s'agisse des tissus de Mossoul ou de la verroterie et des tapis.
Dans le domaine militaire, les Francs font prospérer de nouvelles montures, croisement entre leurs lourds destriers de combats européens avec des races orientales. Ils "échangent", contre les machines de guerre inconnues des arabes, la recette du terrible
feu-grégois qui avait été prise aux byzantins. Sur l'art de la fortification il faut être très prudent sur les possibles influences mutuelles et il est plus sage de ne rien avancer ici tant le rôle des architectes arméniens et l'impact de l'architecture militaire byzantine reste à étudier.
Enfin, après avoir brulé la bibliothèque d'Alexandrie, certains arabes lettrés finirent par comprendre la valeur que pouvaient avoir les textes anciens qui étaient conservés dans les monastères orientaux. Traduits en arabe il furent redécouverts sous cette forme par une Europe qui en avait été privée il y a bien longtemps. La révolution Aristotélicienne prit ce chemin. Il faut toutefois noter que c'est surtout l'Espagne occupée qui fut le principal moteur de la rediffusion de ce savoir antique, qu'il s'agisse d'astronomie, de philosophie ou de mathématiques.
Au final, les latins semblent avoir surtout ré-appris le luxe et certaines bonnes manières, tandis qu'à l'Europe entière ils ouvraient la porte d'un patrimoine végétal nouveau ou, en partie oublié.
En 1120, Foucher de Chartres, chapelain de Baudouin Ier de Jerusalem écrivait :
"Nous qui étions des Occidentaux, sommes devenus des Orientaux (...) l'un possède déjà des maisons qui lui appartiennent en propre (...) l'autre a épousé non pas une compatriote mais une Syrienne ou une Arménienne, voire une Sarrasine admise à la grâce du Baptême.(...) On utilise différentes langues en alternance, à la convenance des uns et des autres. Celui qui était un étranger est maintenant un indigène."
La description est surement un peu idéalisée, mais quand on sait que la liberté de culte était de règle, que devant la loi, musulmans, chrétiens ou melkites prêtaient serment sur leur livre saint respectifs, que le raïs d'un village musulman le restait si ce village était sous domination franque, on peut rester songeur lorsque l'on essai de nos jours de donner du sens au mot "intégration".
L'historienne Anne Bernet et l'archiviste-paléographe Marie-Adelaïde Nielen ont consacré de nombreuses pages à l'étude de a société féodale de l'Orient latin. La lecture de ces travaux apportent énormément à qui s'éprands de ce sujet
Bien amicalement,
T.