Un petit topic histoire de s'extasier sur ce qui bien souvent est la première chose du Moyen Age qu'on rencontre dans sa vie : les églises gothiques.
J'ai eu envie d'en parler suite à la lecture du topic de Foulques où figurait la citation d'une "source un peu vieille", Guillaume le bâtard conquérant.
D'abord, pourquoi il faut se "méfier" du travail de Jean de La Varende ?
Et bien parce qu'il écrivit sur le Moyen Age à une époque où l'on pouvait qualifier certaines mauvaises moeurs de "moyenâgeuses" (un mot qui reste très connoté aujourd'hui et j'étripe quiconque l'utilise devant moi

De plus sa vision est partiale (presque moins objective que ce qu'on lit au XIXè siècle !!) et, évidemment mais ça on peut pas lui en vouloir, le temps a passé, les découvertes ont changé bien des choses et la terminologie s'est affinée, bien qu'elle pose encore de gros problème à l'histoire de l'art.
Ensuite, il parle du "miracle gothique" (comme on avait parlé du miracle grec), et qualifie le Roman de « mastoc »

D’ailleurs, pour faire un peu d’épistémologie, on ne sait pas exactement d’où sort le mot « gothique ».
L’art médiéval, découverte tardive, souffre des contextes belliqueux dans lesquels il fut étudié. Etabli et périodisé il n’en fut pas moins affublé de termes dépréciatifs que les premiers historiens de la Renaissance lui donnèrent (Vasari [1511-1574] lui-même qualifie le gothique de « monstrueuse et barbare manière trouvée par les Goths »).
Cette période à la dimension très européenne (la Renaissance) se verra bouleversée par la conscience nationale qui naît avec les grands royaumes fondés aux XVIè et XVIIè siècles. Au XIXè siècle, la définition d’une sensibilité culturelle commune est liée à celle de l’individu et à son rapport au groupe. La sensation d’appartenance à une identité culturelle favorise la naissance des états nations, une conjoncture qui aboutira à la Première Guerre Mondiale.
La définition de l’identité nationale au XIXè siècle posa la question de la définition de la place du génie dans les arts. Napoléon III détermina le rapport entre conquérants et conquis mais, surtout, son temps marque le Moyen Age comme le principe initial où l’on considère la naissance d’un art véritablement pertinent en France, en Allemagne et en Angleterre (d’où la résurgence du gothique au XIXè siècle et les visées des bombardements de certaines guerres qui épargnent certains lieux de conservation d’un certain patrimoine).
Ainsi l’histoire de l’art médiéval ne peut se faire sans l’étude des chercheurs qui l’ont étudié et de leurs époques contextuelles respectives.
Le gothique, lui, n’a jamais eu d’équivalant ou d’origine : il est, en effet, un "mystère" qui se détache de la référence gréco-romaine et de son phénomène de Renaissance récurrente dans notre histoire occidentale.
(Note : et oui, vous avez peut-être en tête le fait que notre notion d’"âge d’or" nous a ramené régulièrement au classicisme antique : sous Charlemagne, dans l’art Roman, à la Renaissance, au XVIIIè avec le néoclassicisme etc. Par ailleurs, les britanniques, ayant mal vécu la conquête romaine, ont situé leur âge d’or au Moyen Age, qui était pour eux l’époque du Roi Arthur. C’est pourquoi leurs bâtiments officiels ne prennent pas comme chez nous la forme de temples romains, mais d’expressions architecturales néo-gothiques [Maisons du Parlement]. En France, la néo-gothique s’est plutôt traduit par une recherche de restauration).
Revenons à nos moutons.

Les années 1140, Saint-Denis sort de terre.tadaaaaa !
8)

L’abbatiale parisienne est en son temps le lieu de conservation du manuscrit apocryphe du pseudo-Denys l’Aéropagyte qui est un philosophe néoplatonicien du IVè siècle. Sa thèse illustre une vision du monde dans laquelle il est possible de contempler le Créateur dans sa créature. Ses idées son déterminantes dans la démarche de Suger : si tous les objets transcendent Dieu, alors la contemplation de la lumière est une voie vers la révélation de la nature divine.
L’abbé Suger, grand personnage du royaume sous Louis VI et Louis VII, cherche cette contemplation de la lumière qui est son projet principal : elle est à l’origine directe de la création gothique.
Pour cela, on va mettre en action des principes architecturaux cherchant l'agrandissement des baies.
Si l’abbatiale Saint-Denis, étant la première, est chronologiquement placée dans le gothique primitif ou premier âge gothique (seconde moitié du XIIè siècle), elle se révèle d’une maturité architecturale du style qui constitue un point de référence.
Suivront ensuite l’étape de
- la période dite « classique » (toujours considérée dans le premier âge), au début du XIIIè siècle avec Notre-Dame de Paris (1163)
- Le gothique rayonnant, amorce du second âge, habituellement représenté par les innovations ornementales à Notre-Dame de Reims (1211-60) et la cathédrale d’Amiens (1220-64), plus grande cathédrale de France.
- Le style flamboyant qui se développe plutôt vers le XVè.
Architecturalement, le gothique se définit par :
- Les ogives
- Le mur mince portant de hautes verrières
- Le dessin brisé des arcs
- Les arcs-boutants
Individuellement ces éléments relèvent déjà de l’architecture romane voire pré-romane (avec influence musulmane). Ainsi connaît-on déjà l’arc brisé dans le roman clunisien et l’ogive dans le Sud de la France (influence arabo-andalouse).
Le mur mince lui, déconnecté des systèmes de support pour être « aminci », est une conséquence du perfectionnement de la voûte d’arête déjà existante dans l’art roman.
A priori, l’arc-boutant est le digne représentant du savoir et de l’esthétique gothique


C’est pour ça que je ne suis pas persuadée que l’expression « miracle gothique » soit à considérer d'une façon trop généraliste… sauf pour dire que, sans présenter d’éléments architecturaux strictement novateurs, l’art gothique semble jaillir comme la production d’une génération spontanée dont l’idée obsessionnelle sera la lumière, l’allègement et l’allongement des formes.
J’invite tout le monde ici à dire quelle est sa cathédrale ou son église gothique préférée !
Pour ma part, c'est Saint Etienne de Bourges :
Une grande Dame dont la robe est une dentelure pétrifiée

Portail à 5 nefs.... ça rigole pas !

Déambulatoire obligatoire pour une église de pèlerinage..

Un petit roi David avec ses restes de polychromie...
